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« Le véritable lieu où l’œuvre existe ne se trouve pas sur l’écran ou à l’intérieur des murs mais dans l’esprit et le cœur de la personne qui l’a vue. »

Bill Viola

Eric de MA’A* : Les innovations technologiques ne cessent d'ouvrir de nouvelles perspectives de création, les festivals d'Art numérique se sont multipliés au fil des années ! VIDEOFORMES (Clermont) - TRANSMEDIALE 2019 (Berlin) - TRANSCULTURES (Mons) - DIGITAL CHOC (Tokyo) - WAQ (Québec) - EMAF (Osnabrück, Allemagne) - RADICAL IMMERSIONS Watermans Arts Centre (Londres) - PANORAMA 21 FRESNOY (Tourcoing) - Time-Based Art Festival (Portland, USA) - Athens Digital Art festival (Athènes) - Mapping Festival (Genève) - Centre Ars Electronica (Linz, Autriche) - festival TodaysArt (La Haye) - KIKK Festival (Namur) pour n'en citer que quelques-uns.

VIDEOFORMES a la particularité d'avoir été l'un des premiers festivals à présenter des œuvres d'Art vidéo-numérique à une époque où il n'y avait pas d'infrastructure pour les accueillir. Il est aujourd'hui reconnu internationalement pour la qualité des projets retenus et diffusés en Auvergne. En tant que directeur, quelles figures marquantes retenez-vous de ces trente dernières années ?

Gabriel Soucheyre : Le premier VIDEOFORMES a eu lieu en 1986. Si la première édition était dédiée aux jeunes créateurs de notre génération, dès 1987, il est apparu essentiel de proposer des artistes et des œuvres reconnus au niveau international. Ainsi cette année-là, Robert Cahen, l'un des rares artistes français qui évoluaient déjà à ce niveau, nous a gratifiés de l’une de ses premières rétrospectives.

Ensuite, il y a eu Gary Hill, avec sa magnifique installation Crux et ses vidéos, John Sanborn et ses inventions prémonitoires, Bill Viola, et leur maître à penser à tous : Nam June Paik, inventeur officiel de l’Art vidéo. Je me souviens de la rencontre un peu surréaliste avec Ko Nakajima qui a depuis inspiré de nouvelles générations. Ces rencontres avec de fortes personnalités ont permis de construire des amitiés durables au fil des ans.

Les années 80-90 ont été marquées par la présence à nos côtés de Jean-Paul Fargier surnommé Monsieur Art-vidéo en France. Jean-Paul Fargier, auteur, journaliste et critique, dont les « papiers » dans les Cahiers du Cinéma, Art-Press, le Monde et notre revue Turbulences Vidéo, ont œuvré pour faire connaître cet Art, et lui ouvrir toutes les portes qu’empruntent aujourd’hui les Arts numériques. Cette rencontre à Villeneuve-lez-Avignon au milieu d'installations et de projections ad libitum reste ancrée dans ma mémoire. Je découvrais qu’avec 90 secondes d’un film mythique récupérées lors d’un incendie (Incatenata alla pellicola, 60’, 1981), l'artiste Gianni Toti, pouvait nous entraîner très loin.

Eric : Vous avez participé à plusieurs publications culturelles, comme les catalogues du MARQ par exemple, et la revue trimestrielle que vous avez créée. Comment est né le magazine Turbulences Vidéo ?

Gabriel : Ce qui manquait le plus aux artistes de la vidéo des années 80, c’était un regard critique sur leur travail. Les articles étaient rares. Nous avons créé en 1989 la Tribune des Critiques, une sorte de show à chaud de critiques et commissaires sur les artistes et les œuvres présentées au festival dans le style de l’émission radiophonique célèbre : le Masque et la Plume. Cela nous a encouragés à créer plus tard la revue trimestrielle Turbulences Vidéo, pour rendre compte de l’actualité de ce genre encore neuf, pour publier des articles de fond et pour consacrer tout un dossier à un artiste, avec Portrait d’artiste. Ce dossier, au cœur de la revue, est construit sur un entretien où l’on évoque le parcours personnel de l’artiste, son enfance, ses goûts, etc.

Cette interview est suivie d’une série d’articles critiques, du parcours professionnel et d'une biographie, l’idée étant de démystifier le statut de l’artiste. Dans sa version papier, ce dossier était très prisé des écoles d’Art abonnées qui le détachaient de la revue et l’archivaient. J’ai encore le souvenir du premier portrait consacré à Ghislaine Gohard. Il s'agissait d'un entretien réalisé au téléphone. Ghislaine Gohard qui pensait n’avoir rien à me dire, m’avouait 1h30 plus tard, qu’elle comprenait enfin pourquoi son premier acte artistique avait été une performance. Pour en savoir plus sur cette question, on peut retrouver ce numéro ainsi que tous les autres (106 en tout à ce jour) sur le site de VIDEOFORMES. Aujourd’hui la revue exclusivement numérique est accessible sur notre site. C’est la revue « augmentée » d’un portrait vidéo de l’artiste qui traite aussi de vidéo-danse, de séries télévisées et de photographie.

Eric : Qu’apporte l'Art numérique aux modes d’expression plus classiques ?

Gabriel : Le « numérique » permet presque tout : de la réalité augmentée à la réalité virtuelle, en passant par les médias mixtes, les expériences, les performances et les installations immersives. On observe qu’il y a une appétence à la fois des artistes et du public pour ce genre d’expérimentation. La dimension sensorielle, poétique et contemplative prend une dimension inégalée à ce jour grâce à des nouveaux outils numériques.

Des artistes comme Golnaz Behrouznia & François Donato (Imaginary Systems), Boris Labbé, Anne-Sophie Emard, Annabelle Playe, prennent une envergure que l'on ne pouvait pas imaginer il y a 30 ans. Ceci est vrai quelles que soient les formes numériques (vidéo, installation, objet numérique ou performance).

Eric : Quelle place occupe désormais l'Art Vidéo dans le champ de l'Art contemporain ?

Gabriel : L’Art vidéo s’est fondu dans la grande vague des Arts numériques. Il a ouvert des voies et s’est nourri de nouvelles recherches, de nouvelles approches formelles. Il a acquis une certaine « notabilité » car on le voit de plus en plus dans les foires d’Art contemporain et dans les galeries. Désormais, l'Art vidéo se collectionne.

Il a surtout atteint une forme accessible. Et si l’on exclut la récente vague des youtubers beaucoup moins créative que celle des vloggers (blog vidéo) des années 2000, l'Art numérique est devenu un enjeu de création avant-gardiste, expérimentale et indépendante. « La vidéo est à la poésie, ce que le cinéma est à la littérature, une forme libre, vivante, réactive ». Nous sommes aux prémices de nouveaux territoires et de nouvelles formes d'expression. « La vidéo (les Arts numériques), c’est de la poésie », une poésie visuelle et sonore, que l’on ressent ! Une écriture poétique qui génère des émotions, pose des questions et suggère des réponses. L'Art vidéo propose de nouveaux paradigmes, des visions innovantes et des échappées oniriques ! Il repousse donc les frontières de l’imaginable au profit de l’imaginaire.

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« Plus il y a de lumières, plus il y a de couleurs. Plus il y a de couleurs, plus il y a du sexe. »

Nam June Paik